Alors que l’artiste Khalil Nemmaoui est sélectionné pour la commande des Regards du Grand Paris, et qu’il s’apprête à venir s’installer quelques mois ici, en Île-de-France, pour rencontrer et passer du temps avec des Chibani·a·s, réaliser avec elles et eux, des images… l’épidémie de Covid-19 surgit et l’artiste se retrouve coincé à Casablanca, là où il vit et travaille.
Casa Lockdown. Les images de cette exposition nous viennent du Maroc, mais où sommes-nous vraiment ? L’artiste a marché dans une ville fantôme. Apparaissent des espaces vides, inquiétants parfois, étrangement familiers souvent.
Sommes-nous dans le quartier des Marronniers, à Clichy-sous-Bois ? Ou sur la Route nationale 3 entre Bondy et Pantin ? Sommes-nous étrangers dans un paysage familier ou chez nous, nulle part ?
Khalil Nemmaoui est lauréat de la commande photographique nationale des Regards du Grand Paris — année 4 portée par les Ateliers Médicis en coopération avec le Centre national des arts plastiques (Cnap).
Faux-semblant. Le regard de l’artiste exprime autant son désarroi que sa passion. Balancement. Coûte que coûte, l’artiste poursuit, persévère, produit et nous offre ses vues, presque des visions.
Ces images peuvent nous rappeler des voyages, des films américains… des routes sur lesquelles la lumière se couche, ou se lève. Des routes à parcourir, à habiter, à réinvestir.
Ces images sont mélancoliques, tournées vers le passé, inquiètes du futur, et à la fois, lucides, pleines d’avenir, d’élan : les espaces sont dans l’attente de nos actions.
Nous ressentons peut-être un nouveau sentiment, complexe, contradictoire, une forme de « solastalgie » ?
Le philosophe Baptiste Morizot le définit ainsi : « La solastalgie est un affect d’exil immobile qui restitue aux plus sédentaires d’entre nous les dimensions de perte et d’errance qu’ont chantées les exilés. Une élégie paradoxale, un chant de l’automne au plus haut de l’été. C’est la nostalgie d’un foyer pourtant bien présent, mais qui fuit sous les pieds, sans qu’on l’ait quitté un instant. C’est une saudade depuis la fenêtre de la cuisine, pour l’ici, pour un monde familier, immémorial, de proximité, qui se métamorphose sous les yeux et devient étranger. »
Les Chibani·a·s que Khalil Nemmaoui souhaitait photographier pour la commande des Regards du Grand Paris ne sont pas seulement vieux ou maghrébins, leurs cheveux ne sont pas forcément blancs mais ils·elles sont toutes celles et ceux qui composent une communauté, indéfinie : exilé·e·s, isolé·e·s, venu·e·s en France pour travailler, resté·e·s ici, rêvant d’un pays à construire, ou qui déjà, n’est plus, si loin à atteindre, si loin derrière… et pourtant si prégnant.
« Je ne cherche jamais à identifier un lieu. Je suis attiré par des éléments qui appartiennent à tout le monde. À vous, à moi »